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Décret gouvernemental - Dérogations à certaines dispositions du Code civil : quelles sont les implications?

posted on May 2, 2022

On se souviendra qu’en septembre 2021, le ministre des Finances du Québec, M. Éric Girard, présentait un projet de règlement précisant les catégories de contrats d’assurance de responsabilité civile pouvant déroger à certaines règles prévues au Code civil. D’ailleurs, le RCCAQ avait déposé ses observations auprès du ministre dans le cadre de sa consultation. Début avril dernier, un décret a été déposé, puis publié à la fin d’avril, pour édicter le Règlement sur les catégories de contrats d’assurance et d’assurés pouvant déroger aux règles des articles 2500 et 2503 du Code civil. Afin de bien informer ses membres sur les impacts, voire les implications, du décret, le RCCAQ a consulté ses conseillers juridiques. S’ensuivent donc les principales interprétations à retenir, soit un survol quant à l’étendue des obligations des cabinets de courtage d’assurance.

Les règles de base

Notons d’abord que l’objectif du gouvernement avec ce décret1 est de favoriser un équilibre entre les marchés de l’assurance responsabilité civile en vigueur au Québec par opposition à celui dit plus concurrentiel que l’on retrouve dans le reste du Canada; le marché de l’assurance responsabilité civile disponible au Québec est davantage restreint alors que les primes d’assurance sont élevées par opposition à ce qui prévaut ailleurs au Canada. Essentiellement, ceci découle de l’obligation, pour les assureurs émettant des contrats au Québec, d’assumer pleinement la défense de leur assuré dans toute poursuite couverte et de payer l'ensemble des frais (honoraires, frais de justice, intérêts), même si ces coûts excèdent, même largement, le montant d’assurance souscrit. Ainsi, l’assureur risque d’assumer des coûts bien au-delà du montant d’assurance qu’il a contractuellement établi. Il faut retenir que le montant de l’assurance doit exclusivement être affecté au paiement des tiers lésés (Art. 2500, 2503 CCQ).

Jusqu’au 6 avril dernier, cette règle ne comportait aucune exception au Québec, même si le contrat d’assurance dûment conclu entre les parties excluait un tel engagement de la part de l’assureur. La situation était différente pour le reste du Canada, alors que les assureurs n’étaient pas assujettis à ces règles : les frais de défense réduisaient le montant d’assurance disponible pour le tiers lésé. N’oublions pas qu’au Québec, l’obligation de défendre l’assuré est distincte de celle visant à indemniser le tiers lésé. Il s’agit d’ailleurs d’un principe qui a maintes fois été confirmé par les tribunaux. Jusqu’au 6 avril dernier, les ententes contractuelles des assureurs ne pouvaient y déroger. Cette règle a favorisé l’exode des assureurs dans ce créneau précis du marché de l’assurance. Ceux qui sont demeurés ont ajusté à la hausse les primes en plus de limiter le montant d’assurance.

Les exceptions depuis avril dernier

Pour corriger la situation, le législateur du Québec a adopté un 3e paragraphe à l’article 2503 du Code civil. Il y est prévu qu’on puisse déroger, par règlement, aux obligations décrites ci-haut. C’est donc en ce sens que le décret 656-2022 a été déposé. En ouvrant la porte, dans certaines situations bien précises, il vient concrétiser la possibilité de limiter contractuellement les engagements de l’assureur. Une telle possibilité permet non seulement de prévoir que les frais de défense viendront amputer le montant d’assurance, mais également, dans sa formulation actuelle, de nier purement et simplement l’obligation de défendre, pour ne conserver que celle d’indemniser. Ainsi, contractuellement et dans les situations visées, l’assureur pourrait limiter son obligation à celle d’indemniser le tiers lésé, et ce, jusqu’à la hauteur du montant d’assurance souscrit. L’assuré devrait alors assumer tout excédent en plus des frais de défense, notamment.

À titre d’exemple

Prenons par exemple un assureur qui émet une couverture d’assurance à hauteur de 5 M$ alors que le tiers lésé a subi des dommages reconnus de 4,5 M$. Pour fins de discussion, les frais de défense et judiciaires s’élèvent à 750 000 $. Si le contrat d’assurance est limité à l’obligation d’indemniser et non celle de défendre, l’assureur versera 4,5 M$ (plus intérêts, jusqu’à hauteur de 5 M$) au tiers lésé, sans plus. Par ailleurs, si le contrat d’assurance assume de surcroit l’obligation de défendre son assuré, son engagement financier sera limité à 5 M$, capital, intérêts, frais et frais judiciaires inclus. L’excédent devra être assumé par l’assuré, soit une somme de 250 000 $ à laquelle s’ajoutent les intérêts encourus sur le capital versé au tiers lésé.

Visiblement, ces amendements introduits par le décret peuvent avoir de lourdes conséquences financières pour les assurés. En conséquence, ils imposent davantage de vigilance à tout courtier dans le cadre de son devoir de conseils.

Des précisions

Il faut préciser que les situations permettant une dérogation aux articles 2500 et 2503 du Code civil visent davantage les grandes entités et entreprises, excluant vraisemblablement les particuliers, les PME et les personnes morales de droit public. Les cas qui permettent à l’assureur de mettre de côté l’obligation de défendre, incluant les frais (honoraires) et les frais de justice, ou l’obligation de les payer au-delà du montant d’assurance, concernent essentiellement les assurés suivants :

  1. Fabricant de médicaments
  2. Personne morale ou ses filiales constituées en vertu de :
    1. Loi constituant Capital régional et coopératif Desjardins
    2. Loi constituant les Fonds d’actions, le Fonds de développement de la Confédération des syndicats nationaux pour la coopération et l’emploi
    3. Loi constituant le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec
  3. Un administrateur, un dirigeant ou un fiduciaire de quiconque visé aux situations précédentes si ce dernier n’est pas assuré par un tel contrat

Aussi, dans les cas non visés précédemment, les assurés suivants, s’ils bénéficient d’une couverture totale de 5 M$ et plus (en vertu de tous les contrats d’assurance de responsabilité civile qu’ils ont souscrits), peuvent être assurés en vertu d’un contrat d’assurance qui exclut ou limite l’obligation de défendre ou de payer les frais et honoraires en sus du montant d’assurance :

  1. Une grande entreprise considérée telle aux fins de l’application de la Loi sur la taxe de vente de Québec ou une personne qui lui est liée au sens de la Loi sur les impôts pour l’année d’imposition 2021-2022 (une grande entreprise est considérée comme telle « si la valeur des ventes taxables faites au Canada par elle ou ses associés excède 10 M$ au cours du dernier exercice terminé avant le début de l’exercice donné »)
  2. Un émetteur assujetti ou une filiale de celui-ci au sens de la Loi sur les valeurs mobilières
  3. Une société étrangère au sens des lois fédérale ou provinciale sur les impôts
  4. Un administrateur, un dirigeant ou un fiduciaire de quiconque est visé par l’un des cas précédents, même si ce dernier n’est pas assuré par un tel contrat

Il faut néanmoins préciser que pour un administrateur dirigeant ou fiduciaire visé précédemment et qui exerce également des activités à titre de membre d’un comité de retraite, de telles activités doivent faire l’objet d’une couverture prévue à son contrat, qui ne déroge pas aux articles 2500 et 2503 du Code civil. Dans un tel cas, le courtier devra s’assurer que la limite de couverture d’assurance de 5 M$ de tous les contrats soit respectée en tout temps, d’où la nécessité de bien vérifier l’échéance de chaque police d’assurance impliquée couvrant ce montant.

Il faut aussi souligner que le législateur insiste sur le fait que les contrats pouvant déroger aux exigences des articles 2500 et 2503 du Code civil ne peuvent excéder la durée d’une année. Ainsi, au renouvellement uniquement, ils pourraient réévaluer la situation du client, entre autres si l’entreprise répond toujours aux critères permettant de le qualifier de grande entreprise. Encore une fois, la vigilance du courtier sera de mise.

Enfin, notons que pour la majorité des cabinets de courtage assurant des entreprises de petites et moyennes envergures, le décret aura un impact limité compte tenu du fait qu’en dehors des personnes morales constituées en vertu des lois précitées, généralement seules certaines grandes entreprises pourront être visées par de telles dérogations. Advenant un tel scénario, le courtier aura tout avantage à bien revoir l’étendue des couvertures d’assurance responsabilité de ses clients. À défaut, sa responsabilité pourrait être engagée avec les conséquences économiques qui peuvent en résulter. Il s’agit malheureusement là du prix à payer pour assurer un minimum de concurrence par rapport au reste du marché canadien.  

C’était l’essentiel de ce survol de l’étendue des obligations des cabinets de courtage d’assurance en lien avec ce décret portant sur les catégories de contrats d’assurance et d’assurés pouvant déroger aux règles des articles 2500 et 2503 du Code civil.

Si des questions persistent, n’hésite pas à contacter le RCCAQ.

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1 Ce décret adopte et met en vigueur le Règlement sur les catégories de contrats d’assurance et d’assurés pouvant déroger aux règles des articles 2500 et 2503 du Code civil.